La culture d’Oc Eo en province d’An Giang
La culture d’Oc Eo en province d’An Giang?
Demandé par ( 2013-01-04 13:38:55 )
Réponse:
Oc Eo est le nom donné par l'archéologue français Louis Malleret à une ville découverte dans les années 1940 au sud de la province vietnamienne d’An Giang. Située un peu au sud du delta du Mékong, elle aurait été la ville portuaire la plus importante du royaume du Fou-nan et aurait existé entre le Ier et le VIIer siècle.
Entre 1997 et 2002, la Mission Archéologie du delta du Mékong, coopération entre l’Institut méridional des Sciences sociales de Hô Chi Minh Ville et l’École française d'Extrême-Orient, avec l’appui de la Commission consultative des Recherches archéologiques à l’Étranger du Ministère des Affaires étrangères, a mené six campagnes de fouilles sur le complexe de sites de Oc Eo, du nom du site éponyme découvert par Louis Malleret. Depuis 2003, la mission procède à des activités dites de post-fouille : analyses en laboratoire, étude du matériel céramique, création d’un système d’information géographique pour la carte archéologique de la région de Oc Eo, rédaction de rapports, etc.
La découverte du Funan
Louis Malleret avait mené en 1944 sur ces sites une campagne pionnière de fouilles, suite à la découverte de nombreux objets précieux de facture ancienne sur le marché des antiquités. Situé dans ce que l’on nommait encore la Cochinchine, entre le bras occidental du delta du Mékong et le golfe du Siam, les sites de Oc Eo se répartissent entre une plaine inondable et les contreforts du petit mont Ba Thê. Marécageuse encore en 1944, cette région est aujourd’hui l’un des greniers à riz du Viêt Nam.
Cette première campagne a mis au jour des monuments en brique et en pierre et une multitude d’objets divers, parures et bijoux en or, en étain, en pierres semi-précieuses, de la céramique et, fait extraordinaire encore à l’époque, plusieurs monnaies romaines. Cet assemblage très diversifié classait d’emblée ce site parmi les plus productifs du premier millénaire de notre ère en Asie du Sud-Est. Des photos aériennes révélaient que le site urbain était entouré d’une enceinte de plan barlong, longue de 2,5 km, invisible au sol, traversée par d’anciens canaux qui la relient d’une part à la mer, et d’autre part à la ville ancienne d’Angkor Borei, en territoire cambodgien. Louis Malleret ne fera jamais de deuxième campagne de fouilles : la guerre coloniale, puis le conflit avec les États-Unis interdiront longtemps encore l’accès aux sites. Mais il publie néanmoins entre 1959 et 1963 un monumental ouvrage (L’archéologie du delta du Mékong), où il donne le rapport de la campagne de 1944, l’accompagne d’une patiente étude de tout ce qui a été recueilli dans quelque trois cents autres gisements du delta du Mékong et en tire une belle reconstitution de cette civilisation. Dès 1979, les archéologues vietnamiens reprennent le flambeau de l’étude de ce qu’ils nomment la « Culture de Oc Eo » : leurs travaux renforcent les conclusions de Malleret.
Il est désormais établi que ces vestiges émanent d’un État que l’on connaissait depuis le début du XXe siècle, à travers les seules sources chinoises, sous le nom de Funan. Cette première grande formation politique de la région contrôlait, entre le Ier et le VIIer siècles de notre ère, le sud de la péninsule Indochinoise, puis une partie de la péninsule Thaï-Malaise. Le Funan, système politique formé à la toute fin de la préhistoire, adoptera, à compter du IIIe-IVe siècle, nombre de traits culturels empruntés à l’Inde, avec laquelle les échanges économiques étaient déjà nombreux : religions (brahmanisme, bouddhisme), architecture monumentale et statuaire religieuses, écriture, idéologies politiques aussi.
Les nouvelles campagnes de fouilles
C’est pour mieux comprendre le processus complexe de ces profondes transformations culturelles que la Mission archéologie du delta du Mékong a été mise sur pied. Il fallait établir une chronologie fiable, fondée sur des datations absolues, mesurer la part des échanges antérieurs avec l’Inde et la Chine, mesurer aussi les rôles respectifs des cultures locales et indiennes dans le processus d’urbanisation et de formation de l’État. On a aussi orienté ces recherches pour analyser le processus de structuration de l’espace urbain pendant la période du Funan, la part respective dans son économie des échanges maritimes et de l’exploitation agricole. On a tenté aussi de comprendre la transformation radicale du paysage opérée afin de contrôler, par le creusement de canaux, l’hydrologie d’une région sujette aux inondations annuelles : quelle part, dans les fonctionnement des canaux anciens, avaient le drainage, l’irrigation, le transport ?
Un éventail de sites, sur les pentes du mont Ba Thê et dans la plaine de Oc Eo, a été fouillé en vue d'obtenir les informations qui font aujourd’hui cruellement défaut pour l’interprétation des nombreuses données déjà disponibles, et pour leur comparaison avec des sites contemporains de l’Asie du Sud-Est. On a ainsi obtenu une séquence chronologique fondée sur l’étude solidement établie de la stratigraphie et confortée par une cinquantaine de datations par le 14C. Calées sur cette séquence, des typologies claires de familles de sites, de monuments et d'objets trouvés en contexte (en particulier de céramiques) sont aujourd’hui en cours de construction, qui devraient permettre de mettre de l’ordre dans le corpus de données accumulé depuis 1944, fort riche mais presque toujours coupé de son contexte archéologique. Après géo-référencement des photos aériennes prises dans les années 1950, on a enfin déterminé la position exacte et fouillé les structures (enceintes urbaines et canaux) connues jusque-là par la seule télédétection. Une étude géomorphologique et palynologique des sites fouillés et de leur environnement a parallèlement été menée pour atteindre à une meilleure connaissance du paléoenvironnement de la zone, et donc à une meilleure compréhension du mode de subsistance des populations concernées (1).
Premières conclusions
S’il est trop tôt, avant que tous les résultats des analyses en cours ne soient connus, pour tirer des recherches entreprises des conclusions fermes, du moins peut-on déjà présenter ici quelques-uns uns des résultats obtenus à ce jour.
On a dégagé une séquence chronologique longue d’environ une douzaine de siècles (Ier – XIIe siècles EC). Les sept premiers siècles concernent l’histoire du Funan, principal objet d’étude de la mission. Les sites fouillés peuvent désormais être regroupés en trois principales phases archéologiques.
Pendant la Phase I de l’histoire du Funan (Ier – IIe/IIIe siècles EC), on assiste à la première occupation des sites de la région de Oc Eo. La plaine deltaïque y est déjà entièrement édifiée, bien que la position exacte du littoral, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Oc Eo, reste à préciser par des analyses sédimentologiques, faunistiques et floristiques. On assiste à la première occupation humaine des tertres hors d'eau dans la plaine de Oc Eo et sur les basses pentes du mont Ba Thê : l’habitat est en bois, sur pilotis, et certains bâtiments sont recouverts de tuiles plates en terre cuite. La sépulture en jarre, traditionnelle dans l’Asie du Sud-Est de la préhistoire tardive et de la protohistoire, est encore pratiquée. Les échanges avec l'Inde et l'Asie du Sud-Est sont déjà réguliers. C’est à la fin de cette phase que commencent à être creusées les douves de l’enceinte urbaine. L’absence de vestiges de monuments religieux notables et de toute statuaire brahmanique ou bouddhique indique cependant que le Funan n’est pas encore « indianisé ». C’est aussi de la fin de cette première phase que date le creusement du réseau hydraulique, en particulier du grand canal qui coupe la ville en deux et la relie à la mer, au Mékong et au site d’Angkor Borei, à quelque soixante-dix kilomètres en amont. Il permet le drainage de la plaine et l’occupation de celle-ci pour l’habitat, à l’intérieur des douves marquant le périmètre urbain. La culture du riz est attestée par les traces de cette graminée servant de dégraissant des poteries et des briques.
Pendant la Phase II de l’histoire du Funan (IVe – VIIe siècles), l’habitat en bois sur pilotis bascule des tertres vers la plaine inondable et vers les basses pentes du mont Ba Thê. La construction sur les tertres de la plaine de Oc Eo et sur les flancs du Ba Thê de monuments religieux vishnouites et bouddhiques et leur statuaire attestent désormais de l’indianisation du pays. Les échanges se développent avec l’Inde, l’Asie du Sud-Est, et aussi avec la Chine à partir du Ve siècle.
La Phase III (périodes préangkorienne et angkorienne, VIIe – XIIesiècles) suit la disparition du Funan, au bénéfice des premières manifestations de systèmes politiques qui déboucheront sur la formation de l’État khmer. On assiste à l’abandon des sites d'habitat et religieux de la plaine de Oc Eo et, semble-t-il, au colmatage du réseau hydraulique. La construction de monuments religieux sur les seules pentes du mont Ba Thê indiquent des liens avec l’État angkorien. Mais le delta n’est plus alors qu’une simple périphérie, le centre de gravité de la région s’éloignant de la côte, pour s’approcher progressivement du site de la future cité d’Angkor, loin à l’intérieur des terres.
Selon Pierre-Yves MANGUIN - Directeur d’études à l’École française d'Extrême-Orient.
Répondu par lehuong
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