Le bouddhisme de Hoa Hao dans le Delta du Mékong

Le bouddhisme de Hoa Hao dans le Delta du Mékong?

Demandé par ( 2013-01-04 12:05:44 )

Réponse:

Selon les statistiques de 2009, il y a environ 1.433.252 bouddhistes de Hoa Hao qui concentrent essentiellement dans le sud-ouest du Vietnam et en particulier en province de An Giang avec 936 974 bouddhistes. Le nombre des bouddhistes de Hoa Hao se trouve au troisième range parmi les religions dans le pays. 
Ce bouddhisme (de Hoa Hao) a été fondé en 1939 par Huynh Phu So, né le 15 janvier 1920, au village de Hoa Hao, commune de Tan Chau. Il était le premier fils de Huynh Công Bô, (président du Conseil des notables et chef du village) et Lê Thi Nhâm, des paysans aisés, connus pour leur altruisme et leur honorabilité. Sa fratrie est composée d’une sœur, Thi Dê, de dix ans son ainée, née d’un premier mariage de son père, une autre sœur, Thi Kim Biên, née en 1921 et un frère, Thanh Mau, né en 1925.
Huynh Phu So a eu une petite enfance sans histoires. Ce n’est que vers l’âge de huit, neuf ans qu’il connut des difficultés scolaires. Bien que d’une intelligence supérieure à la moyenne, il était considéré comme un élève très moyen à l’école du village où il éprouvait de grosses difficultés à fixer son attention. Il obtint le certificat d’études primaires élémentaires mais, à l’école de Tân Châu où il acquit quelques notions de français, il échoua au certificat d’études franco-indochinois du fait d’une santé maladive et son père, qui avait pour ce fils aîné de grandes ambitions, le retira à regret de l’école, alors qu’il n’avait que quinze ans.
Sa fatigabilité l’empêchant de travailler, il resta oisif, se promenait dans les rizières, souvent jusqu’à l’aube – il était insomniaque – ou accompagnait les gardiens de buffles. Fatigué par cette insomnie, sa santé se dégrada et il dut rester couché. Les médecins consultés ne parvinrent pas à le guérir, pas plus que les guérisseurs et autres sorciers. A cet état d’insomnie s’ajoutait de la fièvre et sa santé empira. Le dix-huitième jour du cinquième mois lunaire de l’année Ky Mao (4 juillet 1939), au cours de la soirée, éclata un violent orage. Vers vingt heures, se dressa sur son lit, sortit précipitamment de la maison, se rendit devant l’autel du Ciel, fit brûler de l’encens puis se prosterna dans les quatre directions. Ses prières terminées, il rentra chez lui et là, posément, devant ses parents et quelques voisins venus rendre visite au chef de village, il se mit à parler de religion. Le petit auditoire, médusé, écouta So commenter en un discours structuré les doctrines bouddhiques, pendant plusieurs heures d’affilée, comme l’eut fait un grand bonze et sans aucune fatigue. Leur surprise fut d’autant plus grande que, jusqu’alors, So n’avait fait montre ni d’un grand savoir ni de facilité d’élocution. Comment ce jeune homme fruste et perpétuellement agité, qui n’avait pas vingt ans, put-il parler aussi longtemps, brillamment et posément, comme l’aurait fait un vieux sage ? C’est un mystère. À la fin de son discours, il déclara qu’il était l’apôtre du Phât Thây de la pagode de Tây An et qu’il avait pour mission de créer une religion nouvelle. En cette soirée de début juillet, quelques paysans du village de Hoa Hao venaient d’assister à un double miracle : la guérison complète de So et la naissance d’un prophète …
Ouvrons une parenthèse pour évoquer le Phât Thây (Maitre Bouddha) de Tây An. A la mort de ses parents, il partit chercher la Voie dans la région des Sept Monts. À l’âge de quarante-deux ans, il se mit à prêcher aux paysans du Mékong. Il les soigna aussi, notamment lors de l’épidémie de choléra de 1849 et les « protégeait » avec des amulettes portant, en caractères chinois, le nom de la secte.
Des rapports de l’époque montrent qu’il a guéri des centaines de personnes, atteintes de diverses maladies, qui devinrent ses disciples. Il leur demandait de prier individuellement, à domicile et sur leur lieu de travail (pratiquez le bouddhisme en cultivant votre terre), plutôt que dans les pagodes, était attentif à leurs besoins, leurs aspirations, prônait le développement de l’agriculture et l’amélioration de leurs conditions de vie, réclamait le départ des missionnaires étrangers. Les habitants de la province le considéraient comme un bouddha vivant et la réincarnation de Nguyên Binh Khiem, dit Trang Trinh, le Nostradamus de l’Annam. Il composa des poèmes prémonitoires et politiques, pouvant être lus dans les deux sens et disait préparer l’avènement d’un Bouddha vivant. La Cour de Hué jugea ses prêches trop politiques et le plaça en résidence dans la Nui Sam (à 6 km au sud-sud-ouest de Chau Doc). Il convainquit le chef de la province — à un point tel que ce dernier proposa à la Cour qu’il lui fut accordé le titre de Dai Duc Chon Tu (véritable saint homme de grande moralité). Il put continuer à exercer son culte, mais sous le strict contrôle des mandarins. Comme il continua à prêcher dans le même registre, plusieurs de ses pagodes, notamment la plus célèbre, nommée Tây An, du village de Long Kiên à neuf kilomètres au nord de Long Xuyên, furent rasées.
Après sa mort, survenue en 1856 (il n’était âgé que de 49 ans mais, curieusement, il est toujours représenté sous les traits d’un vieillard chenu. Dans quel but ? pour signifier qu’il était immortel ? ou pour montrer sa grande sagesse ?), ses successeurs continuèrent de propager le bouddhisme social qu’il avait initié, en accentuant son nationalisme.
Son enseignement fut repris par plusieurs de ses disciples. Parmi les principaux, se succédèrent :
Trần văn Thành appelé le moine Lành (Đạo Lành). Comme l’ensemble des Bửu Sơn Kỳ Hương, il était nationaliste, très hostile aux Français. Il organisa la résistance Bay Thua dans la région de Long Xuyên. Son fils, Trần văn Chai, s’était suicidé en prison à l’âge de dix-huit ans. Đạo Lành fut tué le 25 mai 1873 lors d’un engagement contre les troupes de l’amiral Dupré.
Sư Vãi Bán Khoai (le moine marchand de patates)  se manifesta durant un court laps de temps (1901-1902) mais publia un livre de prophéties Sấm Giảng người đời, connu de tous les disciples.
Nguyễn Trung Trực. De son vrai nom Nguyễn văn Lịch était officier de l’armée d’Annam. Quand les Français envahirent son pays, il démissionna et organisa la résistance. À Mỹ Tho, le 10 janvier1861, il attaqua un navire français, tua tous ses passagers. Le 10 décembre de la même année, il incendia l’Espérance sur le fleuve Nhật Tảo, tua le commandant et tous ses hommes. Il prit L’attaque de Rach Gia le 10 juin 1868. Les Français ont emprisonné sa mère et les familles de plusieurs de ses partisans. Il se rendit en échange de leur liberté, refusa la proposition qui lui était faite de collaborer et fut exécuté le 27 décembre 1868.
Đức Bổn Sư Ngô Lợi.
Il avait fondé le village An Định. Durant l’expédition militaire de mai 1887, les français ont incendié tout le village et capturé les deux milles habitants. Son bras droit Bùi Thuận fut capturé et incarcéré à Poulo-Condor. Đức Bổn Sư mourut en 1890, sur le mont Thất Sơn.
Đức Phật Trùm appelé Réincarnation du Phật Thầy Tây An. Khmer du village de Xà Tón près de Châu Đốc, très gravement malade en 1868, mourant, il se rétablit en quelques jours, a oublié sa langue maternelle pour ne parler plus que le vietnamien, langue qu’il ignorait jusqu’alors et commença à prêcher, à la manière du  Phật Thầy Tây An. Les Français le déportèrent durant quelques années en un lieu demeuré secret. Puis il revint au pays et se remit à prêcher jusqu’à sa mort, survenue en 1875.
Nguyễn văn Thới dit Ba Thới est né en 1866, à Cao Lanh, près de Sadec. En 1906 il s’engagea dans la résistance contre les colonisateurs dès 1906. Il écrivit un livre de prophéties Kim Cổ Kỳ Quan, dans lequel il annonçait la guerre sino-vietnamienne de 1979.
Les disciples du Phât Thây  Tây An, tels les Hoa Hao, soignent bénévolement  les indigents. À Rach Gia, notamment, près du temple et du musée dédié à Nguyen Trung Truc, ils ont ouvert un dispensaire et, sous de vastes hangars, préparent leurs pharmacopée à base d’herboristerie :
Chaque jour, des paysans de la campagne environnante, de plus en plus nombreux, prévenus de la guérison et du prêche extraordinaire, furent convertis par Huynh Phu So, devenu désormais Duc Huynh Giao Chu. Dans le même temps, son comportement changea radicalement et il se mit à écrire des pièces en vers, d’une tenue littéraire reconnue, inventant même une métrique où il faisait alterner des vers de six, sept et huit pieds. Sur les traces du Phât Thây Tây An, il se mit à soigner et guérit plusieurs centaines de malades, dont certains étaient réputés incurables. Les conversions se multiplièrent et, à la fin de 1939, alors que Duc Huynh n’avait pas encore vingt ans et sa secte à peine six mois d’existence, les disciples se comptaient en dizaines de milliers. Accusé de trouble à l’ordre public, il fut arrêté le 8 mai 1940. Le lendemain, le gouverneur de la Cochinchine prit à son encontre une mesure d’éloignement des provinces de Chau Doc et Long Xuyen, ce qui ne fit qu’accroître sa notoriété et le nombre de conversions. Le 28 juillet, l’administrateur de Can Tho décida de son transfèrement à l’hôpital Cho Quan, de Cho Lon. Il va y rester dix mois et convertir le docteur Tran Van Tam, qui n’eut de cesse de faire reconnaître sa bonne santé mentale.
Les autorités l’assignèrent à résidence à Bac Lieu, ville choisie du fait que sa population était principalement chinoise et Khmère, gens peu réceptifs aux idées du jeune prophète. Il rallia toutefois son hôte, membre du Conseil Colonial, plusieurs notables, ainsi que les paysans alentour. Les Japonais, voyant le parti qu’ils pourraient tirer du ralliement de quelqu’un ayant une telle audience, organisèrent son évasion en octobre 1942 et l’installèrent dans leur représentation commerciale à Saigon. Il y était à l’abri à la fois des Français et du Vietminh mais manquait de latitude pour mener à bien son projet de système qui dépasserait la simple religion Il se rendait fréquemment au domicile du docteur Tran Van Tam, où il constitua une équipe restreinte de sept fidèles, qui devinrent ses conseillers politiques. Il intensifia la propagande anticoloniale et constitua des Doi Bao An (groupes d’auto-défense) et choisit Tran Van Soi pour les organiser. Des coups de main contre les Français permirent de récupérer des armes. Tout celà déplut fortement au Vietminh qui, le 8 septembre 1945 à Can Tho, mitrailla 20 000 manifestants Hoa Hao. Le frère de Huynh Phu So et le fils de Tran Van Soai, faits prisonniers furent exécutés le 7 octobre. Les communistes poursuivirent les HH à travers tout le Delta et 10 000 d’entre eux furent tués. Duc Huynh, assiégé par les communistes à Saigon, parvint à s’enfuir avec -à nouveau- l’aide des Japonais. Le retour de leur Maître galvanisa les Hoa Hao et Tran Van Soai organisa la riposte. Les communistes, liés par dix, furent jetés à l’eau. Le message était clair : pour chaque Hoa Hao tué, dix communistes périraient. Le 20 avril 1946, se réunit un congrès des forces anti-françaises dont Huynh Phu So devint le leader. Y participaient les Hoa Hao, les Caodaïstes, les Caodaïstes dissidents, les bouddhistes Tinh Do, les catholiques, les socialistes, le Quoc Dan Dang, les Binh Xuyen et le Viet Minh. Un Front National Unifié fut créé. Les communistes, minoritaires, firent tout pour le saboter, allant jusqu’à informer les Français des positions des combattants Hoa Hao, informations à l’origine de plusieurs raids aériens ciblés. Ce qui conduisit le Front à déplacer son quartier général de Vinh Lac à Cho Lon pour se protéger des Français. Et, pour se prémunir contre le Viet Minh, ennemi autrement plus redoutable, une réunion secrète entre Caodaïstes, Binh Xuyen et Hoa Hao, tenue à Tay Ninh en janvier 1947, décida de déplacer les troupes du Front de la 7e zone militaire (qui était sous contrôle communiste) vers la région de Hau Giang, en plein pays Hoa Hao. Les communistes multiplièrent les incidents sanglants, qui ont atteint leur paroxysme de fin mars à début avril. Le Viet Minh invita Huynh Phu So à négocier un cessez-le-feu. Une réunion de réconciliation, comme les communistes savent en faire, se tint le 15 avril : plus personne ne revit Huynh Phu So. Les Hoa Hao, aussitôt la nouvelle de sa disparition connue, se rallièrent aux Français. Ils menèrent, de 1947 à 1955, année du démantèlement des Secte par le dictateur Diem, une lutte sans merci aux communistes. Et bien au-delà de cette époque : jusqu’à la prise de Saigon, en 1975 car ils avaient, pour la plupart d’entre eux, intégré l’armée régulière du Sud Vietnam. Un journaliste américain ira jusqu’à écrire que le pays Hoa Hao était le seul endroit du Vietnam où un soldat américain pouvait se promener sans armes. L’ armée Hoa Hao – il serait plus juste d’écrire les armées – a été d’une efficacité redoutable : elle a gagné haut la main tous les combats qu’elle livra contre le Vietminh, même quand l’ennemi était largement supérieur en nombre et mieux armé. Elle était polymorphe. D’abord sous le commandement exclusif de Tran Van Soai (qui avait le grade officiel de général de demi-brigade !). Nommé par Huynh Phu So, ses opposants n’ont pas osé briguer ouvertement son poste et créèrent leurs propres factions. Ce fut le cas de Ba Cut, Nguyen Giac Ngo, Hai Ngoai, Ba Ga Mo. Mais même lorsque les différentes factions se rendirent successivement à Diem, elles aidèrent Ba Cut, qui continuait le combat. Polymorphe aussi quant aux unités qui la composaient : des commandos SAS au régiment d’amazones. Le rôle de ces dernières ne se limita pas à être la vitrine de l’armée HH : elles étaient d’efficaces agents de liaison, voire membres des comités d’assassinats.
Près la chute de Diem, le parti Dan Xa joua un rôle capital dans la politique du Sud Vietnam. Et il n’est pas un politicien (Nguyen Van Thieu, Nguyen Cao Ky, Nguyen Khanh et même McNamara) qui ne passa par To Dinh.
To Dinh est le siège de la religion Hoa Hao : c’est la maison où Duc Huynh Giao Chu est né et où il a reçu la révélation de sa mission. Je m’y rendis à plusieurs reprises, accompagné de ‘tonton’ Vo Van Tac qui a été le voisin, l’ami puis le chauffeur de Huynh Phu So (à la disparition de ce dernier, il restera chauffeur de son père, jusqu’à son décès, survenu en 1961). Tant à son domicile que le lors du trajet entre la ville de Saigon et le village de HoaHao – le nouveau régime a rebaptisé l’une et l’autre, mais sans parvenir à changer le cœur de leurs habitants – il me racontait des anecdotes concernant Duc Huynh (elles auraient mérité, d’ailleurs, d’être consignées dans leur ensemble, ce que je comptais faire lors d’un prochain voyage au sud Vietnam, (malheureusement monsieur Vo Van Tac est décédé depuis la dernière visite que lui avais faite) : il avait côtoyé Huynh Phu So, dès son adolescence et jusqu’à sa disparition
L’une des caractéristiques principales du bouddhisme Hoa Hao est l’engagement social de ses membres. Comme l’avait prôné Duc Huynh. Par exemple, pour l’année 2007, les disciples ont donné 46 milliards de dongs (4 millions de dollars) pour construire ou réparer 1 270 maisons pour les pauvres, construire 150 ponts à haubans et augmenter le réseau routier de 152 kilomètres. En outre, les personnes démunies ont été opérées gratuitement de la cataracte, les élèves déshérités assistés, des herbes, racines, écorces médicinales collectées (comme au temple NTT de Rach Gia) ; ils animent, depuis de nombreuses années, des restaurants gratuits pour les pauvres hospitalisés et les familles venues leur rendre visite, comme nous avons pu le constater à Long Xuyen :
Voici ce qu’écrivait, dans les années cinquante, un officier du 2ème Bureau, à propos du plus antipathique des chefs de guerre Hoa Hao : il a engagé des sommes très importantes pour les services publics des régions sous son contrôle, en particulier, la construction et l’entretien d’écoles, de maternités, de dispensaires et d’un hôpital. Fin 1952, il y avait en service une centaine d’écoles avec 170 instituteurs, 17 dispensaires et 55 postes de secours. Il a créé de nouvelles pistes et fait procéder à la remise en valeur des rizières abandonnées.
De même, une ‘ clinique ‘ existait dans le village de Hoa Hao et, après l’écrasement de l’armée de la secte par Diêm, l’hôpital militaire Nguyên Trung Truc fut dédié aux civils. Médecine traditionnelle et occidentale y étaient dispensées par des médecins adeptes bénévoles. Le gouvernement a attendu dix ans pour lui accorder l’autorisation d’opérer et 1965 pour l’inaugurer… Il y a toujours des blocages lorsqu’il s’agit des Hoa Hao (sauf en période électorale).

Répondu par lehuong

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